Certains de mes lecteurs m'ont demandé d'inclure davantage d'informations sur la substitution sensorielle en général. Voici une série de textes sur la substitution sensorielle et sur la plasticité intermodale (voir aussi le log du 5 Janvier 2007).
Substitution sensorielle : Méthodes non-invasives
La substitution sensorielle non invasive cherche un intrant sensoriel autre que la vision pour aller stimuler le cortex visuel. Certaines méthodes exploitent l'audition pour remplacer la vision, tandis que certaines méthodes exploitent le sens tactile.
La substitution sensorielle non invasive cherche un intrant sensoriel autre que la vision pour aller stimuler le cortex visuel. Certaines méthodes exploitent l'audition pour remplacer la vision, tandis que certaines méthodes exploitent le sens tactile.
Depuis plus de quarante ans, Paul Bach-y-Rita travail à développer des systèmes de substitution sensorielle. La substitution sensorielle est la capacité de substituer un sens par un autre sens d’une façon fonctionnelle. Le remplacement de systèmes sensorielles perdus, principalement de la vue et de l’ouïe est un très vieux rêve. Le Braille par exemple, est une sorte de système de substitution sensorielle en soit. Dans l’exemple du Braille, on substitue la stimulation visuelle par une stimulation tactile. Dans la préface de son livre : Brain Mechanisms in Sensory Substitution (1972), Dr. Bach-y-Rita pose la question à savoir si les yeux sont essentiels à la vision, et les oreilles pour l’ouïe. Cette question peut sembler absurde, mais en réalité c’est exactement le problème que pose la substitution sensorielle. Est-ce que l’expérience de lire du braille peut être qualifié de vision? Ou est-ce plutôt une expérience tactile qui remplace la vision? Bach-y-Rita explique que les images captées par nos pupille ne quitte jamais notre rétine. De la rétine jusqu’au cerveau cet information voyage sous forme de pulsations électriques et chimiques et le cerveau l’interprète de façon visuelle. Nous ne voyons donc pas avec nos yeux, mais bien avec notre cerveau. La perception d’une image requiert beaucoup plus de la part du cerveau qu’une simple analyse de l’image. Cette perception se fonde sur la mémoire, sur l’apprentissage, sur une interprétation contextuelle, et beaucoup d’autres facteurs (Bach-y-Rita & Aiello, 1996). C’est cette constatation phénoménologique qui à sans doute donnée naissance à l’idée d’un système de substitution sensorielle qui remplace l’apport visuelle de l’œil par un apport visuel via la peau. Le Dr. Paul Bach-y-Rita invente en 1965 un appareil qui, muni d’une caméra vidéo, est capable de transmettre sur la peau sous forme de stimulation électrique l’image de la caméra. On peut reproduire certaines des qualités subjectives de la vision en utilisant des systèmes de substitution sensorielle (Kaczmarek, 1995), tels les illusions d’optiques, et une certaine forme d’apprentissage visuel. Ceci est un phénomène auquel j’ai pu assister dans mes propres expériences avec un appareil de substitution sensorielle électro-tactile. Une personne qui est aveugle de naissance n’a jamais eu l’expérience visuelle pour comprendre que quand un objet s’éloigne, il devient plus petit visuellement, et quand il s’approche il grossit. Ce sont des codes visuels que nous, les voyants, avons appris à force de voir ce phénomène. On peut assister à l’apprentissage tactile de ce phénomène en l’espace de quelques minutes lors de certains tests avec des sujets aveugles de naissance. Il est possible que l’expérience auditive de l’éloignement d’une cible, et la diminution des sons lointains puisse être transférée à l’expérience visuo-tactile, mais il demeure que cet apprentissage n’est pas immédiat, et requiert quelques minutes. Cet apprentissage, comme celui du lecteur de braille qui arrive, à force d’expérience, à faire des discriminations très fines avec ses doigts reflète la capacité du cerveau à se réadapter quand il survient une demande fonctionnelle (une nouvelle tâche), et un apprentissage qui comble cette demande fonctionnelle grâce à un intrant sensoriel. Cette réorganisation repose sur la plasticité du cerveau pour être fonctionnelle. C’est pour cette raison que l’on dit que la substitution sensorielle est la conséquence comportementale de la plasticité corticale. Le cerveau possède une étonnante capacité à se réorganiser selon l’expérience sensorielle qui lui est disponible. C’est grâce à cette capacité de réorganisation du cerveau (la plasticité) qu’un intrant tactile peut être interprété de façon visuelle par le cerveau. Par exemple la somatotopie des doigts est représentée sur le cortex visuel d’aveugles de naissance ayant appris à lire le braille (Kupers et al., 2006). Dans cet exemple les doigts remplacent l’œil pour la tâche de la lecture. Le cerveau s’adapte donc à gérer cet information du mieux qu’il peut avec l’espace corticale disponible. Puisque le cortex visuel est la partie du cerveau la mieux adaptée pour faire une tâche de lecture, et que l’absence de vision rend cette zone disponible pour traiter l’information tactile chez les aveugles de naissance, l’intrant tactile ira innerver le cortex visuel. Cela ne veut pas dire qu’un individu qui n’aura pas subi cette adaptation corticale ne pourra pas apprendre à lire le braille. Un voyant qui apprend à lire le braille ne subira peut-être pas de changements au niveau de son cortex visuel, et par conséquant il ne pourra jamais atteindre le niveau d’expertise de lecture du braille de certains aveugles de naissances capables de lire le braille à des vitesses supérieures de celles des voyants lisant un texte standard. La compétence supérieures de l’aveugle lisant du braille est rendue possible grâce au recrutement du cortex visuel pour cette tâche, tandis que le voyant est handicapé par l’absence de finesse de son cortex somatosensoriel pour accomplir cette tâche. Des études démontrent que des aveugles de naissance peuvent faire des discriminations de formes, d’orientation de lignes, de lettres de l’alphabet et du mouvement de cibles visuelles à l’aide de stimulation tactile sur la langue, et que cette stimulation active le cortex visuel de ces sujets (voir revue dans Ptito & Kupers 2005; Ptito, Moesgaard, Gjedde, & Kupers, 2005).
Écholocation et voir avec le son
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C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris il n’y a pas longtemps le décès du professeur Dr. Paul Bach-Y-Rita. Ce grand chercheur fut un pionnier de la recherche en substitution sensorielle.
Le Dr. Paul Bach-Y-Rita développe en 1970 un appareil capable de transmettre l’information visuelle sur la surface cutanée du dos. Une caméra capte une image qui est transmise sur une grille électrotactile et les récepteurs cutanés acheminent l’information visuelle au cerveau qui traite l’information. Les études de cas nous montrent qu’il est possible avec un certain apprentissage d’utiliser cet appareil pour faire des jugements de distance et attraper des objets en mouvements. Plus tard, on adapte cet appareil pour la somesthésie de la langue plutôt que celle du dos. La raison du choix de la langue repose sur plusieurs critères. D’abord, la sensibilité de la langue est nettement supérieure à celle du dos. La surface corticale pour la langue est plus grande que celle dédiée à la somesthésie du dos.
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Le TDU se miniaturisa avec l’avènement de la micro technologie. La caméra est maintenant de la taille d’une « webcam, » et le transformateur est portable. Aussi, aujourd’hui nous avons la possibilité de démontrer à l’aide de techniques en imagerie les zones corticales sollicitées par la stimulation électrotactile de la langue pour la vision.
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La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) du cortex occipital chez les sujets voyants entraîne l’apparition de phosphènes visuels (Theoret, Halligan, Kobayashi, Merabet, & Pascual-Leone, 2004). La TMS chez les sujets aveugles ayant appris à utiliser le TDU entraîne l’apparition de sensations sur la langue, des phosphènes somatosensoriels. Cette même stimulation TMS n’entraîne pas de sensations sur la langue chez les sujets contrôles. Chez les sujets aveugles entraînés au TDU, la langue avait acquis une représentation cartographique dans le cortex occipital. Des sujets aveugles de naissance utilisent leur cortex visuel pour des tâches d’orientation tactile avec la langue (Ptito & Kupers, 2005).
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La canne vient en deux modèle : un qui remplace l’image par un son, ou par une vibration de la canne, c’est au grès du voyageur.
La substitution sensorielle, la négociation d’obstacle et la navigation
L’évolution des systèmes de substitution sensorielle à été profondément marquée par une question en particulier : La substitution sensorielle peut elle aider à guider les aveugles dans la négociation d’obstacle et la navigation en général? La négociation d’obstacle chez les aveugles a été étudié sous plusieurs angles. Plusieurs études au début des années soixante exploraient la capacité des aveugles à détecter des objets à l’aide de sons (Kellogg, 1962). Les aveugles arrivaient à faire des discriminations de textures, de tailles, et de distances que les voyants n’arrivaient pas à faire à l’aide de sons. On se pencha ensuite sur le rôle de la longueur d’onde des sons, et du timbre (Wilson, 1966). Plus tard on démontra que bien que certains aveugles arrivent à se déplacer seulement à l’aide de l’écholocation, c'est-à-dire se diriger grâce aux sons « naturels » qui sont produit par les sujets, l’écholocation est une virtuosité qui n’est pas atteignable par toutes les personnes aveugles, mais bien un groupe très select d’individus plus doués que la moyenne. Aussi, l’écholocation n’est pas suffisante pour qu’une personne aveugle puisse se déplacer dans l’espace avec autant d’habilité qu’un voyant (Strelow & Brabyn, 1982). Par contre, cette habilité d’utiliser des sons pour localiser des obstacles ne requiert aucune expérience visuelle préalable (Ashmead, Hill, & Talor, 1989). Ces démonstrations inspirèrent l’invention du « sonic guide » (Kay, 2000). Cet appareil transforme les images captées par une caméra en ondes sonores que le sujet apprend à décoder pour se déplacer dans l’espace. La même idée est exploité par les systèmes du « tongue display unit » (TDU) et le « tactile vision substitution system » (TVSS) inventé par Bach-y-Rita à la même époque (Bach-y-Rita, 1967). Ces systèmes utilisent une caméra qui capte des image pouvant être transmise en temps réel sur une grille de pixels sous forme de stimulation électrique sur le corps
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La résolution de la langue n’est donc pas une limite pour la perception visuelle. Les avenues de recherches ouvertes par le Dr. Bach-y-Rita sont très nombreuses. Les questions philosophique soulevées par ces constatations rejoignent certaines très vielles questions philosophiques sur la conscience. Par exemple, la question de Molyneux est d’actualité encore aujourd’hui puisqu’on se pose sensiblement les mêmes questions aujourd’hui. Il y’a plusieurs siècles déjà avec la naissance de la psychologie moderne on se demandait si une personne aveugle de naissance à qui ont rendait la vue pourrait transférer la connaissance qu’il possède déjà sur les formes géométriques d’un point de vue tactile à la vision qu’il vient de réacquérir. Aujourd’hui, on sait qu’une personne aveugle qui utilise le TDU sait reconnaître des formes géométriques qu’il connaît de façon tactile, mais on se pose la question à savoir si cette perception est vraiment de la vision. Dans la pré-histoire de la psychologie il y’avait une dichotomie entre la sensation et la perception. La sensation se référait à la stimulation d’un organe sensoriel qui envoyait un message vers le cerveau jusqu’a ce qu’un percept émerge. De cette façon, la représentation mentale d’une expérience (dans ce cas une image) n’est pas un produit direct de notre champ visuel, mais bien de l’esprit qui traite l’information (Schinazi, 2005). Dans cette optique le problème de la surcharge sensorielle semble imminent. Par exemple, la langue ne serait-elle pas débordée par la grande quantité d’informations qui lui est acheminée via la languette du TDU? En effet, comment croire que la peau puisse être aussi sensible que l’œil devant une scène visuelle? En fait nous savons aujourd’hui que le système perceptif d’organismes vivants est une machine remarquable de réduction d’informations. Par exemple, comment se fait il que dans un endroit bruyant nous arrivions à nous concentrer sur la voix d’un seul individu? C’est à cause de cet capacité que nous avons de réduire l’information pour que nous puissions l’utiliser. C’est pour cette raison que White et al., (1970) affirmaient que « les limitations de ce système sont causées par la pauvreté de l’affichage, et non pas par les limites des capacités de traitement d’information de la peau ».
Bien que cette affirmation demeure sans preuves concrètes, c’est ce que mon projet de recherche veut démontrer. Si les sujets de mon expérience arrivent à naviguer dans un parcours à obstacle complexe, c’est que l’information du TDU est suffisante pour se représenter un environnement de façon visuelle. Cette perception s’apparente donc davantage à une perception visuelle puisque l’information sur la peau est interprétée comme se référant à un objet dans l’espace, et non pas uniquement sur la surface de la peau. La cécité entraîne une diminution d’autonomie par un déficit d’orientation dans l’espace et de mobilité. Pour la plus grande majorité, l’incapacité des aveugles dans la navigation spatiale n’est pas due à un déficit de représentation de l’espace, puisque les aveugles, même ceux sans aucune expérience visuelle, arrivent à se représenter un environnement connu, et ont une bonne compréhension des grands espaces (Casey, 1978). Il n’est donc pas question de déficit au niveau de la représentation mentale d’un environnement puisque certains aveugles arrivent à créer des cartes cognitives de nouveaux environnements jusqu’alors inconnus, et ils arrivent même à acquérir certaines compétences spatio-cognitives en l’absence de vision ou d’expérience visuelle (Passini et al. 1990). Contrairement aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer ayant de la difficulté à s’orienter dans l’espace à cause d’un déficit cognitif, les non-voyants ont une déficience perceptive. Cette perte d’autonomie est due à deux conséquences de la cécité: l’incapacité de voir des obstacles et l’inaccessibilité à l’information visuelle qui aide grandement à la formation de cartes cognitives d’un environnement.
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